03 février 2006

Temps troublés entre liberté d'expression et respect des cultes


Chacun apportant aujourd'hui sa contribution à la cacophonie ambiante, rien ne m'oblige ni ne m'interdit d'en faire autant et de revenir sur le dernier avatar religieux du moment : les caricatures du prophète.

D'emblée, je tiens à saluer le coup journalistique très fort (peut-être le dernier) de France-Soir qui s'est payé une campagne de publicité à moindres coûts en embrasant la question sur l'autel de sa survie. Cela étant, le mérite d'un tel choix éditorial réside dans le fait que l'on en parle et que certains masquent tombent.

"Le XXIème siècle sera religieux ou ne sera pas" disait Malraux. Force est de constater qu'il avait vu juste à ceci près qu'il semble que nous n'ayons pas le choix : cinq années après le début de ce nouveau siècle, j'en viens à me demander si l'alternative est toujours d'actualité. En effet, la question religieuse est omniprésente et s'habille des oripeaux mal phagocytés du communautarisme pour se trouver poussivement une légitimité dans le débat français (qui reste, malgré tout, un pays laïc). En somme, on en a parlé, on en parle et on va continuer à en parler jusqu'à forger définitivement l'armature du, tant attendu par certains, choc des civilisations autrement appelée Guerre mondiale de religion.

Quid des caricatures incriminées ?
Si l'on part du postulat raisonnable qui consiste à dire, avec tolérance, que la religion musulmane est une religion comme les autres, on doit pouvoir en déduire qu'elle ne peut prétendre à plus de droits qu'une autre telle le catholicisme, le judaïsme ou encore le bouddhisme.

Dans cette mesure, les musulmans pratiquants peuvent se prévaloir des mêmes chefs d’offuscation que leurs homologues protestants, taoïstes et autres.

Ainsi, compte tenu du fait que nous vivons encore dans un état de droit (apparemment), l’atteinte portée à un culte par quiconque qui aurait blessé les pratiquants du culte considéré est condamnable.

Est-il besoin de rappeler les condamnations relatives aux publicités BENETTON, les interdictions de publication de certains ouvrages à caractère diffamatoire, les films outrageant les convictions de certains, etc.

Le fait est que nous disposons d’un ensemble de moyens établis destinés à permettre à chacun de faire juger que le comportement de tel ou tel est offensant. Encore faut-il avoir le courage de s’adresser à la Justice de ce pays plutôt que de jeter l’anathème sur tel ou tel, en jouant des gros bras ou en appelant à la guerre sainte.

Les caricatures incriminées par le vif débat mondial de cette semaine relèvent, pour ce qui concerne ce vieux mais beau pays, du droit de la presse et pourraient justifier que les responsables du culte musulman en France saisissent alors le Tribunal de Grande Instance compétent du chef de diffamation par voie de presse.

Pour celles que j’ai pu voir ou lire (dont celle qui est reproduite à la une de France-Soir), je ne vois pas en quoi l’offense serait à ce point insupportable qu’il faille embraser tous les foyers encore chauds d’affrontements cultuels.

J’entends par ailleurs dire que l’outrage est constitué dès lors que les dessinateurs ont représenté le prophète Mahomet. Cet argument serait recevable s’il s’était agi d’une publication musulmane à diffusion stricto sensu musulmane. Or, nous vivons dans une société laïque, multi-confessionnelle au sujet de laquelle il est toléré qu’il y ait différentes conceptions des choses.
Au surplus, j’observe non sans inquiétude, que cela reviendrait alors à dire que ce que la religion musulmane interdit doit être interdit dans toute la société considérée, nonobstant le fait que ladite société soit laïque et/ou que cela heurte les convictions personnelles d’autres membres de cette société qui ne se retrouveraient pas dans le précepte coercitif dont s’agit.

Il n’en est pas question.

Nous sommes ici dans une sphère publique qui peut s’affranchir des interdits religieux lesquels sont censés s’arrêter à la frontière de la conscience individuelle. Naturellement et pour garantir le libre exercice de cette même conscience individuelle, l’exercice de caricature (celui qui nous préoccupe aujourd’hui) est encadré et ne doit pas être offensant ni attentatoire aux convictions des uns et des autres.

Tout cela est, en somme, une mise en œuvre de la tolérance dont chacun se réclame curieusement.

Le problème est que, s’agissant des religions et des phénomènes religieux, les positions sont marquées et les antagonismes se creusent très rapidement annihilant alors tout dialogue pour laisser la place au fondamentalisme le plus violent, le plus irraisonné et le moins éclairé. J’en profite également pour noter que les plus fervents fondamentalistes n’ont même pas pris la peine de se pencher sur ce qu’ils déclarent abhorrer. L’exemple le plus clair reste celui de Monsieur RUSHDIE, dont le livre " Les Versets Sataniques " n’avait pas été lu par tous les croyants qui avaient juré la mort de l’auteur sur la base de ce qu’il avait écrit mais qu’ils n’avaient pourtant pas lu ! Dans d’autres jargons, on appelle cela de l’embrigadement ou du fanatisme.

En conclusion, il est à craindre que ce nouvel avatar démontre à quiconque que certains enragés dogmatiques prennent à nouveau le prétexte grossier du blasphème pour se rassurer sur leur fond de commerce déjà bien prospère. Ces fous furieux que l’on rencontre dans tous les camps ont cette caractéristique commune de fonctionner de la même manière : jouer les pieux croyants outragés et n’avoir alors plus d’autre choix que de faire justice au nom d’un Dieu dont ils ignorent la complétude du message qui lui est prêté, ne préférant ériger en dogme intangible que ce qui les arrange et que ce vis à vis de quoi ils pourront profiter rapidement pour accroître leur confort ou opprimer davantage leurs prochains (ce qui revient un peu à la même chose).

Par ailleurs, la liberté d’expression n’autorise pas les journalistes et caricaturistes à traiter tous les sujets sur un même pied d’égalité, et notamment le phénomène religieux dont on sait qu’il est particulièrement exacerbé.

Cela étant, il ne faudrait pas comprendre de ma dernière remarque qu’il ne faut pas parler de l’Islam et de son prophète. Bien au contraire, il faut en parler et en parler encore de façon à lever le voile (!!!) sur un sujet craint et sanctuarisé au motif qu’il attise les passions. Mais il faut en parler avec rigueur et une implacable rationalité, coupant alors le cou aux jusqu’au-boutistes illuminés qui sont toujours prêts à inonder les esprits faibles de leur propagande honteuse et liberticide. Le gage d’un progrès de l’humanité sur ces braises ardentes restera le trait juste qu’il soit celui d’un journaliste ou celui d’un caricaturiste …

" Judaïsme: Religion des juifs, fondée sur la croyance en un Dieu unique, ce qui la distingue de la religion chrétienne, qui s'appuie sur la foi en un seul Dieu, et plus encore de la religion musulmane, résolument monothéiste. " Pierre DESPROGES

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