En arrivant hier dans mon bureau, à 07:28 pour échapper aux bouchons inévitables [mais parce que je réugne à prendre les transports en commun], j'ai eu presque la nausée, presque le vertige, presque l'envie quasi insurpassable de rebrousser chemin et de dire que non, je ne viendrai plus.
"Ca reviendra petit à petit" m'a envoyé Zolimari, comme pour me rassurer, vainement et probablement se rassurer lui aussi. Sauf que oui, ces mots sont vains parce qu'ils n'ont plus d'impact sur moi, à force d'avoir été prononcés depuis des années. Il faudra bien un jour se rendre à l'évidence : malgré tous les bénéfices que j'en retire et nonobstant le confort de vie qu'elle me procure, cette vie ne me convient pas tant que cela. Pas tant que cela oui parce que certaines choses m'agréent mais, au fond des choses, cette année 2020 sera clairement une rupture : j'ai eu la preuve irréfutable que j'abhorre l'autre. La vie en société ne me saoule plus, elle me révulse.
En arrivant à Sirmione jeudi dernier et alors que le cadre est si paradisiaque que Jules César lui-même venait s'y ressourcer pour profiter des bienfaits du Lac de Garde et de ses eaux sulfurées, je me suis fermé d'un bloc, d'un coup ... entré comme en résistance. Pourquoi ? La perspective matérielle du retour ? Le changement d'univers ? Le monde ? Oui ... le monde. La populace visqueuse qui t'envahit d'un coup, comme cela. Toute répugnante, toute étouffante ... d'ordinaire, cela me prend quand on arrive à l'aéroport sauf que cette année, le Covid-19 m'a fait éviter les aéroports.
Depuis, le sentiment monte gentiment mais sûrement, amplifié par la rupture de rythme imprimée par Zolimari qui, tel un buldozer, retourne de façon quasi réflexe dans sa routine destructrice. Divine idée judicieuse que j'ai eue de m'accorder une journée de congés supplémentaire lundi. J'étais seul, j'ai pu aller à mon rythme, j'ai eu tout le loisir d'être dérangé par celles et ceux qui ont cru nécessaire de profiter, pour eux, de ce temps que je m'étais réservé à moi-même ... qu'importe. Cette journée a servi de sas de décompression même s'il fut bien modeste au regard du tsunami de pressions qui m'attendent.
Oh certes, tu m'objecteras que j'ai forcément passé des vacances géniales que tellement de gens auraient souhaité avoir. Tu m'expliqueras que je suis un enfant gâté qui ne connaît pas sa chance. Tu lèveras les yeux au ciel en soulignant que je me morfonds en tournant en rond et que si c'est si invivable que cela, je n'ai qu'à avoir les couilles de faire des choix radicaux et de me confronter à cet autre chose censé davantage mieux me convenir. Certes ... tu pourrais me dire tout cela mais s'il y a bien une chose qui est certaine, c'est que je n'ai demandé l'avis de personne. Je n'ai pas besoin de leçon, je suis assez lucide sur le sujet. Ces quelques lignes traduisent le fait que la rentrée a toujours été difficile, que je n'en ai pas envie. Mais ce qui est troublant, c'est que je n'en ai plus envie, que je suis fatigué [oui, les vacances idylliques m'ont fatigué aussi] et que la vie de tous les jours avec ce ramassis de crétins avec lesquels je suis bien obligé de faire société m'épuise. C'est peut-être pour cela que lundi, je t'expliquais que j'allais probablement sortir la sulfateuse cette année.
Oui ... "Vous avez beaucoup de colère en vous et la garder pour vous vous détruit" m'avait lancé mon ostéo préféré en m'intimant par ailleurs l'ordre d'être modeste avec moi-même. Si j'essaye d'appliquer du mieux que je peux le second conseil, je crois que l'on est arrivé au point où il ne m'est plus possible de contenir cette colère. C'est pour cela que je me détache de certains, comme un dernier cadeau pour éviter de leur foncer dedans. C'est pour cela que je me coupe des réseaux sociaux et débats dont le niveau est si abject et affligeant qu'il procède de l'hygiène mentale que je m'en préserve. C'est pour cela que j'ai le regard vague et parfois triste, pour masquer l'ire que m'inspire ce que je lis, entends, vois, comprends. Le confinement m'a aidé à créer une bulle de protection contre tout ce qui se déchaîne depuis qu'il n'est plus de rigueur, comme s'il fallait rattraper le temps perdu. Parfois, je m'amuse [par dépit] des photos de groupe dans une piscine postées par ce grand con qui se targait d'être le chantre de la discipline sociale sanitaire quelques semaines avant. Je me navre des concours de celui qui a la plus longue [au sens propre ... comme au figuré] sur tout et vraiment n'importe quoi. Je m'afflige de ce que le Contrat social n'existe plus, au sens où Jean-Jacques Rousseau l'avait précisé. En synthèse, il expliquait qu'à défaut de contenance, il fallait avoir une dignité. Aujourd'hui, ni l'une ni l'autre ne sont de mise puisque l'humiliation est devenue un jeu, les mots n'ont plus aucun sens, il est acceptable de contraindre à vendre ce qui n’a pas de prix [la prostitution banalisée des comptes Onlyfans et Just4fans est sidérante], se dégrader est quasiment devenu un passage obligé, se comporter en "choses" ou en "bêtes" comme le disait Rousseau n'a plus rien d'outrageant.
La rentrée me sfait sauter aux yeux ce qui me flingue déjà d'ordinaire : il est requis d'avoir une relation à soi où s’abîment la dignité et le respect de soi. De La Boétie et son Discours de la servitude volontaire à Sieyès s’exprime une même idée : la servitude se nourrit d’un double avilissement, de l’un par l’autre et de chacun par soi-même. Et oui, cela me met terriblement en colère parce que je rejette l'idée que cela doive aujourd'hui être la norme dans une société où la sauvagerie n'a plus rien de déplacé. Assister à un tel délitement sans percevoir la possibilité d'y résister me déshumanise au point que j'invoque, avec une violence comparable à celle que je ressens, la nécessaire stérilisation de tout un bataillon d'individus.
Tto, qui n'est pas au mieux
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