Publié la première fois le 16 août 2018
C'est en passant devant autant de kiosques qui affichaient la une de ce Gaipied que j'ai trouvé le courage, du haut de mes 13 printemps, d'aller acheter ce journal. Alors que je l'avais acheté pour me rassurer sur le fait que tout ce qui m'arrivait était normal depuis que la puberté s'était emparée de moi, j'y ai découvert un monde nouveau. J'avais déjà lu des magazines pornographiques comme Lui et Playboy mais là, avec Gaipied, on basculait dans autre chose et, bien que chamboulé lors de la première lecture, je l'avaoue cela me plaisait. L'ayant gardé longtemps sous mon lit sans qu'il fut trouvé, j'ai fini par le jeter [et je me souviens parfaitement l'avoir fait en le déchirant en petits morceaux afin que rien ne soit indentifiable ... tu n'imagines pas le temps que cela prend !].
Plus tard et alors que je n'y pensais plus et que j'étais passé à bien d'autres choses que de m'astiquer tout seul dans ma chambre en lisant les petites annonces d'un Gaipied que j'avais fini par connaître par coeur, je m'aventurais sur eBay à la recherche de je ne sais quelle trouvaille susceptible de bouleverser ma vie, comme à chaque fois que j'allais sur eBay, cette brocante permanente. J'avais des recherches assez calibrées : j'aimais acheter des verres publicitaires, des goodies de LA CINQ [j'avais trouvé un jour la table du journal télévisé que j'aurais bien acheté si elle n'avait pas été de dimensions rédhibitoires pour mon studio], des DVD rares et des trucs cochons [ce qui ne manquait pas sur eBay quand tu savais chercher un peu].
Baguenaudant un soir, je tombe sur une annonce qui m'intrigue : un homme manifestement plus âgé que moi avait posté une annonce pour vendre une collection de magazines gays des années 80. Bigre ... le côté vintage m'attirait et j'avoue avoir imaginé qu'on pourrait y trouver plusieurs trucs intéressants, comme ce que font Pierre & Gilles mais avant d'y mettre leur vernis. Les années 80 en France, dans la culture gay très fermée de l'époque, est fascinante. Ni une ni deux, je prends donc contact avec le vendeur pour en savoir plus ...
Il s'agissait d'un belge. Diantre ... un belge qui vend des magazines pornos gays français des années 80. Ça devient piquant cette histoire. Au détour de conversations, il m'envoie des photos diverses et variées témoignant du fait que les magazines semblent être en bon état et tandis que je lui demande la liste exhaustive de ce qu'il propose afin de voir si tout m'intéresserait, il me répond qu'il s'agit de la quasi intégrale du magazine "Gaipied" que je devais certainement ne pas connaître selon lui. Ah mais cela devient de plus en plus intéressant me dis-je ... voilà quelqu'un qui me propose d'acquérir des supports comparables à celui qui m'a permis d'envisager ma sexualité de façon très précise. "Quasi intégrale" m'interrogeant encore un peu, il m'explique qu'il doit manquer un ou deux numéros du tout début. En réalité, il en manque beaucoup plus mais la liste qu'il m'adressa avant que je ne lui achète son stock m'interpella ... il y avait dedans le numéro de juillet 1989, celui que j'avais acheté. C'est ce qui me décida à acquérir pour moins de 100€ tous les Gaipied de cet homme qui me fit néanmoins quelques difficultés lors de la finalisation de la transaction.
Aujourd'hui, mes Gaipied dorment dans ma cave et je les regarde dans leur carton de temps en temps, avec un regard critique parce que la ligne a terriblement vécu. Les gays qui ont la sentence facile aujourd'hui et font preuve d'une intolérance marquée devraient probablement relire certains articles ou quelques pages pour se rendre compte d'où l'on vient et quelle était l'état de la société d'alors. On n'envisage pas la détresse des homos de l'époque, fauchés par le SIDA qui hurlaient à longueur de colonnes leur souffrance et la volonté de jouir envers et contre tout et tous.
Je les garde ces Gaipied parce qu'ils sont le témoignage de ce qui m'a construit. C'est daté et ne sert finalement plus à grand chose sinon qu'à témoigner d'une époque pas si révolue que cela mais dont les dangers arborent d'autres masques, plus savoureux et duplices.
Je regarde encore avec émotion la couverture de ce numéro, aux dominantes jaunes, avec ce mec en une à l'oeil aguicheur et tellement caricatural. J'ai racheté une trace de ma jeunesse, celle de cet été 1989 où l'on fêtait le bicentenaire de la Révolution française, celle où je me suis encanaillé dans Paris en découvrant tout seul ce qui allait guider ma vie et mon sexe.
Tto, toujours ému
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