Tout est lourd dans les rues de la capitale en cet été ... oui, tout et même davantage. Rien ne permet plus d'alléger le fardeau d'un épuisement des âmes, tout n'est que conflit et l'on sent bien que tout peut déraper à n'importe quel moment, y compris et surtout à cause d'un rien. Pourtant, de riens il n'est pas question dans la torpeur de cet été étouffant : les symboles s'accumulent, les impasses se multiplient et même les plus raisonnables en viennent à sortir de leurs gonds tant l'atmosphère est irrespirable.
Dans un tel contexte, le pouvoir se donne du mal pour dissiper l'insupportable et l'attention, de façon à ce que toute étincelle passe inaperçue et ne parvienne pas à embraser ce qui ne demande qu'à l'être. Ainsi, pour raccommoder celles et ceux qui ne supportent plus, il a été décidé de convoquer les grands moyens : quoi de mieux qu'un mariage. Au delà du symbole et de la tactique, c'est en définitive ce qui parachève le projet, la cerise sur le gâteau roboratif de la paix de Saint-Germain-en-Laye qui devait mettre fin à trois années de terribles guerres civiles entre catholiques et protestants. Oh certes, comme tous les bons arrangements auxquels on ne croit pas en les signant, la paix est des plus précaires puisque même les catholiques ne l'acceptent pas voyant là une légitimation des protestants qu'ils préféreraient voir brûler ou oxir de leurs lames aiguisées. Oui mais voilà, réunir à nouveau, c'est faire des concessions et donc abandonner des symboles. Le retour des protestants à la cour de France choque ceux qui l'avait aidée mais la reine Catherine de Médicis et son roi de fils Charles IX sont décidés à ne pas laisser la guerre reprendre tant elle a décimé le royaume en fauchant des générations mais aussi en dilapidant les richesses. Qu'importe s'il faut tolérer la présence de huguenots dont les mains ne sont pas encore sèches du sang qu'ils ont fait couler si c'est pour retrouver le calme que rien ne permettait plus d'entrevoir il y a quelques mois encore. Gaspard de Coligny, le chef des protestants, revient donc dans le conseil royal et l'ambiance est délétère.
En fine tacticienne rompue à l'exercice du pouvoir depuis maintenant treize années de chaos, Catherine de Médicis sait aussi que cela ne suffira pas. Pour parachever la paix entre les deux factions religieuses qui se déchirent et menacent l'intégrité même du royaume de France, Catherine de Médicis décide de sortir sa carte maîtresse qu'elle a si souvent maniée : le mariage. Quoi de mieux qu'une union pour rapprocher les irréconciliables et, sous l'oeil de Dieu, forcer à arrondir des angles trop saillants. Dans son jeu, la reine vêtue de noir dispose d'une carte : sa fille Marguerite de Valois. Turbulente et suscitant les ragots, la princesse évoluant dans un univers très masculin s'est fait une place en jouant de ses charmes ... un peu trop d'ailleurs. Quoi de mieux, dès lors, que de calmer Marguerite en la mariant avec ce prince protestant aux effluves faisandées, Henri de Navarre. Si elle avait su que quelques mois après sa mort son gendre deviendrait le futur Henri IV, Catherine de Médicis aurait demandé à son conseiller Nostradamus s'il n'exagérait pas un peu.
Après quelques temps dédiés à la négociation, le mariage princier initialement prévu pour le mois de mai fut repoussé au 18 août 1572, à cause du décès de Jeanne d'Albret, mère d'Henri de Navarre. Certains y voyaient déjà le signal funeste que cette union ne résolverait rien. En effet, sitôt annoncée, elle ne fut acceptée ni par les intransigeants catholiques ni par les protestants qiu comprirent rapidement le dessein de la reine noire qu'ils accusaient de tous les maux. Le pape en rajouta un peu en exigeant la conversion du fiancé, faute de quoi il refuserait d'envoyer la dispense de consanguinité. Au delà du fait religieux, le Pape fut rejoint par le roi d'Espagne, Philippe II et les deux condamnèrent vigoureusement le projet politique de Catherine de Médicis. Oui mais voilà, il ne pouvait plus en être autrement ...
Le mariage fut célébré le 18 août 1572, à l'occasion de festivités grandioses auxquelles sont conviés tous les grands du royaume, y compris les protestants, dans un esprit de concorde et de réconciliation. Sur le carton d'invitation, tout ne pouvait que bien se passer ... un très grand nombre de gentilshommes protestants venus escorter leur prince sont conviés, la débauche de moyens est à la hauteur des ambitions du projet royal et tout le faste est déployé. Oui mais voilà, Paris est une cocotte minute qui ne se laisse pas berner de la sorte et la pression ne redescend pas, bien au contraire. Ville farouchement anti-huguenote, la capitale est habitée par une population catholique à l'extrême qui n'accepte pas la présence des hérétiques et les prédicateurs, capucins et dominicains hurlent au sacrilège s'agissant du mariage d'une fille de France avec un protestant, fût-il prince de sang. Comme si cela ne suffisait pas, les récoltes ont été mauvaises, les prix s'envolent alors que le luxe se déploie sans complexe à l'occasion des noces royales. Au surplus, Catherine de Médicis n'est pas parvenue à obtenir l'accord du pape Grégoire XIII pour célébrer l'union qui n'est finalement pas que celle d'un homme et d'une femme mais plus évidemment la réunion du peuple de France. Compte tenu de l'opposition définitive du Saint Père, les prélats français hésitent sur l'attitude à adopter et traînent des pieds pour se joindre aux festivités. Charles Ier de Bourbon, archevêque de Rouen, finira par céder aux pressions de la reine afin d'unir Henri et Marguerite. Comme si cela ne suffisait pas encore, les rivalités entre les grandes familles resurgissent de plus belle, les Guise s'opposant frontalement aux Montmorency. Dans cette ambiance de poudrière, François, duc de Montmorency et gouverneur de Paris, ne parvint pas à contrôler les troubles urbains parisiens de sorte qu'il préféra quitter la ville quelques jours après le mariage.
Le mariage a finalement lieu à Notre-Dame de Paris. Le Parlement de Paris, farouchement catholique, boude les cérémonies officielles parce qu'ils réprouvent le mariage mais plus sûrement parce qu'ils en veulent au roi d'avoir édicté un impôt frappant les procureurs deux jours plus tôt. La bénédiction nuptiale n'est pas donnée à l'intérieur de la cathédrale, comme à l'accoutumée, mais sous le porche. Pourquoi une telle curiosité ? Le marié, du fait de sa religion, n'avait pas le droit d'entrer à Notre-Dame ni d'assister à la messe qui suivit la bénédiction. Mais qu'importe ... l'essentiel est là : les époux sont mariés même si Marguerite eût du mal à exprimer son consentement que l'on devinera d'une éructation. Catherine de Médicis est quasiment soulagée, le plus dur est fait et plus rien ne sera donc comme avant.
Réjouissez-vous bonnes dames et messieurs, voyez comme les temps nouveaux seront plus cléments. Observez bien ceux que vous haïssiez hier encore, ils sont désormais unis à vous, le peuple de France est à nouveau uni et indivisible. Regardez bien ce coin de ciel bleu qui donne aux eaux de la Seine bordant la Cathédrale une couleur plus ravissante qu'à l'accoutumée. Oui, ce mariage conserve un goût saumâtre et définitivement gênant mais cela finira par passer. Profitez de liesse et de la joie certes factice. Oui profitez ... profitez en bien parce que cette union est le premier saut dans un précipice calamiteux, sinistre et mortel qui teintera, six jours plus tard, les eaux du fleuve d'une couleur inhabituelle.
A suivre
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