Au matin du 23 août 1572, Paris se réveille étrangement.
La nouvelle de la tentative d'assassinat sur Coligny est dans toutes les bouches et la nouvelle se répond comme une traînée de poudre tant chez les protestants que chez les catholiques. L'incrédulité le dispute à l'effervescence ... voilà donc à quoi a servi le beau mariage d'il y a cinq jours ? Ce mouvement de balancier perpétuel depuis dix ans a achevé de fatiguer les plus raisonnables et, finalement, plus rien ne permet de garantir que les choses iront mieux. Les belles promesses de la reine noire confinent à l'aveuglement voire la duperie. Il fait déjà chaud en cette matinée et il y a fort à parier que les sermons des prédicateurs de tous bords ne soient enflammés à la messe.
Au Louvre, Catherine de Médicis a la tête des mauvais jours. On ne dirait pas comme cela, mais ce sont plus de deux ans de négociations qui pourraient partir en fumée si l'agitation devait repartir. Le gouverneur de Paris n'est plus là, les Guise jouent les supplétifs zélés avec des idées ahurissantes et jusqu'au-boutistes tandis que les huguenots demandent des gages délirants d'heure en heure pour que le roi puisse convaincre qu'il n'y est pour rien. On aurait voulu torpiller le projet de réconciliation que le mariage d'il y a cinq jours était censé servir que l'on ne s'y serait pas pris autrement.
Rue de Béthisy, l'Amiral Coligny n'est pas gaillard mais les blessures de la veille au soir ne sont pas mortelles. Surtout, Coligny s'agace des suppliques de ses proches de quitter Paris. Comment envisager cela puisque le roi y verrait un signe de défiance à son endroit, ruinant les efforts de ces derniers temps pour revenir en grâce. En outre, cela mettrait en danger Henri de Navarre qui loge au Louvre aux côtés de ceux qui ont peut-être conçu l'attaque qu'il a subie. Le marié de cinq jours est captif et l'atmosphère n'est guère rassurante. Surtout, cet attentat raté est peut-être une bonne occasion de faire tomber les masques de ses ennemis, les Guise. Jaloux de l'influence croissante de Coligny, ceux-ci passent leur temps à ourdir des pièges et des machinations destinées à le perdre sans y parvenir. Qu'ils veuillent se venger du trépas de François de Guise neuf ans plus tôt dont ils le rendent responsable est une chose mais malgré plusieurs procès, rien n'a été démontré et le roi lui-même a exigé que le silence soit fait sur cette affaire. Coligny est donc en position de force désormais, les Guise auront désobéi. Pas question donc de partir ...
Dans la journée, Coligny reçoit une visite de courtoisie. Le roi Charles IX vient prendre des nouvelles ... oh, il n'a que quelques pas depuis le Louvre mais le symbole est remarquable et remarqué. Qu'on ne s'y trompe pas, rien n'est gratuit et cette visite a seulement vocation à éteindre le brasier protestant qui hurle à la vengeance. Ceux-ci s'élèvent contre cet attentat visant leur chef le plus respecté, et la capitale est à deux doigts de basculer à nouveau dans la guerre civile entre les partisans des Guise et les huguenots. En se déplaçant, le roi rassure Coligny et les protestants, il se déplace avec sa cour pour signifier l'importance du personnage visité et il promet justice.
Si le résultat poursuivi est atteint du côté des huguenots, l'effet est dévastateur chez les catholiques qui n'y comprennent plus rien. De fait et avec une démonstration inouïe, ils assistent à une reculade du roi face aux protestants. Rien de moins ... le pouvoir semble vaciller voire tourner casaque. Devant un tel camouflet, les Guise font mine de quitter la capitale. Puisque le roi a choisi son camp, ils ne sauraient honorer le roi de leur présence davantage, en ce compris les efforts importants consacrés à sa protection et au maintien de la royauté. Pour éteindre l'incendie protestant, voilà donc que le jeune Charles IX âgé de 22 ans et sa mère drapée de noir ont réussi la performance de braquer leurs soutiens fidèles et d'allumer un feu encore plus virulent. Catherine de Médicis et Charles IX sont dépités, désemparés, saisis et même effrayés : ils réalisent tout à coup que si les Guise quittent Paris, ils se retrouveront seuls avec les protestants. Catherine n'a pas oublié la surprise de Meaux de 1567, lorsque Coligny avait essayé de les kidnapper ce qui laissa des traces.
Loin de résoudre les équations qui semblaient déjà insolubles, Catherine de Médicis et son fils en rajoutent et la situation devient rapidement inextricable au grand désespoir des conseillers politiques du duo qui plient devant la complexité du sac de nœuds qu'un simple mariage, cinq jours auparavant, devait avoir dénoué.
Au souper de la reine, une délégation de protestants demande audience bruyamment afin de lui réclamer justice. Tout le monde sait que c'est chez elle que tout se gère, que tout se décide et que les équilibres se font. Charles IX est dépassé, seule Catherine de Médicis pilote encore. Réaffirmant les promesses royales, la reine gagne du temps, attendant également confirmation de la désertion des Guise ... celle-ci tardant à se confirmer ce qui donne encore quelques raisons d'espérer.
Débarrassée des huguenots excités dont une bonne partie, cruelle ironie, avait été invitée par ses soins pour assister aux festivités du mariage, la reine se replie. Quelques heures plus tard, alors que la chaleur est étouffante dans les rues de la capitale où les incidents se multiplient du fait des provocations, la décision est prise : un conseil étroit du roi doit se réunir san tarder et en urgence. Dans un Palais du Louvre dont les pierres chauffées toute la journée restituent une chaleur inconfortable alors que le soleil est couché, le roi tient donc cette réunion inhabituelle avec ses conseillers pour décider de la conduite à suivre. Flanqué de sa mère, Charles IX écoute son frère le duc d'Anjou, le garde des Sceaux René de Birague, le maréchal de Tavannes, le baron de Retz, et le duc de Nevers. Cette réunion réunit le sommet des compétences de l'appareil d'état. Cette réunion expose les solutions qui s'offrent au pauvre Charles IX, embourbé dans les luttes intestines ... Au crépuscule du 23 août 1572, il est décidé de procéder à une "justice extraordinaire" et d'éliminer les chefs protestants. Bien qu'il n'existe aucune trace de la décision en question, c'est donc à ce moment là que s'est décidée l'élimination pure et simple de ceux que Catherine de Médicis avait essayé de réconcilier avec les catholiques, à grand renfort de symboles le dernier étant le mariage de sa fille avec Henri de Navarre cinq jours plus tôt. La solution est radicale, relève de l'exceptionnel mais s'impose parce que le roi et la reine mère ne voient pas d'avenir à remettre leur destin dans les mains des protestants qui n'auront alors de cesse que d'aller faire la guerre à l'Espagne par les Pays-Bas. Au surplus, cela fera repartir le conflit national de plus belle en partitionnant le royaume et en privant le roi des richesses de la Bourgogne. Oui, puisqu'il faut choisir, autant arbitrer vers le camp qui offre le plus de garanties, même si cela consiste à mettre hors d'état de nuire tous les capitaines de guerre protestants qu'on avait invité pour célébrer l'union des deux camps au moyen d'un mariage aussi métaphorique que chimérique. Malgré tout, il es décidé d'épargner les jeunes princes du sang, à savoir le roi de Navarre et le prince de Condé.
Au soir du 23 août 1572, le roi a donc décidé. Les chefs protestants vont mourir dans quelques minutes. Ce qu'il reste des autorités municipales de Paris est convoqué. Les portes de la ville sont fermées de toute urgence, les bourgeois sont armés afin de prévenir toute tentative de soulèvement. Le commandement des opérations militaires est confié au duc de Guise et à son oncle le duc d'Aumale, avec l'appui du duc de Nevers, le duc de Montpensier et le bâtard d'Angoulême tous connus pour leur intransigeance au sein du cercle royal.
Bien qu'on ne puisse prouver avec des sources concordantes le déroulement exact des opérations, une équipe conduite par le duc de Guise est chargée de régler le problème rue de Béthizy, au logis de l'Amiral de Coligny : tiré de son lit, Gaspard de Coligny est achevé et défenestré. Dans le même temps, les nobles protestants qui sont logés au Louvre sont évacués du palais puis massacrés dans les rues avoisinantes. Leurs corps sont ensuite rassemblés devant le Palais sont dénudés, puis traînés dans les rues et enfin jetés dans la Seine. Méthodiquement, les troupes du duc de Guise s'attaquent ensuite aux chefs protestants logés dans le faubourg Saint-Germain qui, l'époque, se trouvait encore en dehors de la ville ... ce qui a donné le temps, parce que les portes de la ville étaient fermées et que les clefs de celle-ci ont opportunément disparu, aux protestants d'organiser une riposte et de s'enfuir.
A cette heure, nous sommes déjà le 24 août 1572, le sang a commencé à couler dans les rues en ce jeudi. On fête d'habitude les Barthélémy mais Paris est prise de convulsions. Les couteaux tuent, les corps sont éventrés, la cocotte minute doit libérer toute la pression qu'elle emmagasine depuis trop longtemps. Le roi a pris ses responsabilités, on dira même qu'on a pris son ordre d'un grommèlement qui rappelle celui de sa sœur lorsqu'il fallut déduire qu'elle acceptait de se marier six jours plus tôt. Le sang des chefs protestants coule comme autant de ruisseaux qui, se rejoignant, constituent des rivières écarlates que la moitié de la lune éclaire malgré tout pour faire ressortir cette couleur grenat si singulière. Oui parce qu'en plus, avec la chaleur des jours, les nuits ne sont pas fraiches et les corps s'accumulant, l'odeur devient vite difficile. C'est pour cela qu'il est décidé rapidement de jeter les dépouilles dans le fleuve ... cette Seine qui a assuré le prospérité de Paris sera donc le catafalque de ces hommes dont la religion était devenue insupportable, cette Seine dont la couleur rose puis s'empourpre à mesure que les dépouilles s'accumulent. Il faut se hâter, d'éliminer le plus de chefs possibles et de faire disparaitre les preuves de ces crimes parce que lorsque le soleil se lèvera, il faudra s'occuper de tous les autres.
A suivre
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