05 août 2021

Salut les copains

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Cette fois ça y est, c'est la fin d'une aventure dont j'ai déjà beaucoup parlé ici. Mes oreilles ont cessé d'écouter Europe 1 depuis que tous les repères d'une station ont été bouleversés et qu'on a choisi d'en faire l'appendice moribond d'une chaîne de télévision rance qui n'a rien d'une télévision d'information continue mais plutôt d'un crachoir permanent flattant le nombril hypertrophié de réactionnaires qui croient ainsi prendre une revanche en s'installant dans des citadelles jadis conspuées parce qu'elles auraient représenté le symbole du pouvoir de la caste dirigeante. Vincent Bolloré a cassé Canal+, il pulvérise Europe 1 et ce sera sans moi à l'instar de beaucoup d'autres.

J'ai passionnément aimé cette radio, les valeurs qu'elle véhiculait, l'ambiance qu'on y trouvait même pendant les heures troublées dernières. J'ai été souvent en colère devant l'incompétence crasse d'Arnaud Lagardère [et son affidé Ramzi Khiroun] à pérenniser celle qu'on appelait la danseuse de Jean-Luc Lagardère. Parce qu'Europe 1, c'est naturel on le sait bien mais c'est surtout patrimonial. Ceux qui vocifèrent contre un passe sanitaire n'en disent pas un mot parce qu'il est plus simple de hurler à la dictature et à l'attaque de la démocratie contre des décisions qui procèdent du bon sens mais qui font exister fugacement. Alors que le pluralisme en prend un sérieux coup, personne ne pointe du doigt la tragédie qui se joue sur les ondes au creux de l'été, dans la torpeur des congés estivaux. C'est ce qui s'est passé à I-Télé qui recommence mais en s'attaquant à un monument des soixante dernières années. Tout le monde a écouté à un moment Europe 1, tout le monde a profité des innovations d'Europe 1 ... tout le monde a déjà entendu quelque chose qui s'est passé sur Europe 1.

De 1956 à aujourd'hui, c'est l'histoire d'une grande radio qui s'achève, constellée de noms prestigieux, de moments historiques [le terme n'est pas galvaudé] et d'émotions comme on en ressent quand on partage des valeurs communes. C'est hélas cela qui va pêcher désormais : quand on envisage comment le ménage a été fait en quelques semaines, en évacuant tant les cautions desdites valeurs comme les piliers d'une maison présents depuis plus de 20 ou 30 ans, c'est bien qu'il n'y a plus grand chose à attendre. J'avais lu que “La nostalgie ? Ca vient quand le présent n'est pas à la hauteur des promesses du passé.” C'est un cruel résumé, à l'image du crépuscule que vivent les équipes d'une radio qui n'auront jamais lâché avant ces dernières semaines, malgré les coups de boutoir d'une Constance Benqué au sommet des ambiguïtés, tenant de plaire au nouvel actionnaire [Bolloré] comme à l'ancien [Lagardère].

Au moment où je quitte définitivement ces ondes, je mesure qu'elles vont me manquer. Oui, Europe 1 était parisienne, parlait plus aux "insiders" qu'à la boulangère de la Corrèze, se faisait plaisir parfois en oubliant l'auditeur ... mais Europe 1 avait ce supplément d'âme que l'on ne trouve pas ailleurs. On y trouvait un ton décomplexé, une fraicheur, une envie de bouger quelques lignes et de faire avancer. Forcément, propulser Louis de Raguenel [ex-Valeurs Actuelles, qui serait l'instigateur des récentes tribunes des militaires] et annoncer l'arrivée des C-News pour huit heures d'antenne quotidiennes, ça donne plutôt l'impression qu'on va vers une Fox News radio diablement moins progressiste et ambitieuse. Je ne ferai pas partie de ce voyage parce que j'ai trop d'amour pour ce qu'a été Europe 1, pour toutes les émotions que j'ai ressenties en écoutant Jean-Claude Laval parler de sexualité le dimanche soir [avant Doc et Difool], en rigolant avec Arthur et ses pirates, en me réveillant avec Jean-Luc Delarue, en suivant l'édition spéciale qui fut proposée à la mort de Dalida, en m'émerveillant des interviews de Daniel Schick, en mesurant rétrospectivement toute l'impact de cette antenne sur les événements de mai 1968, en saluant la performance de Laurent Baffie au micro du dimanche matin, en battant le rythme de la musique d'Emilie Mazoyer, en suivant Laurent Ruquier qui était encore supportable, ... il serait injuste de continuer cette liste parce que je vais en oublier.

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C'est de tout cela dont j'ai la nostalgie à un moment où le sens a une importance capitale. Oui, Europe 1 donnait du sens parce qu'elle équilibrait les points de vue dans la logique d'un pluralisme dont on sait qu'il n'est pas la vertu cardinale du nouveau maître des lieux, l'auto-dérision non plus. Même si Canteloup était moins piquant, il demeurait l'homme le plus écouté de la station parce qu'il tapait là où ça faisait mal. Même si elle avait l'âge de partir à la retraite, Julie d'Europe 1 était un peu le fil rouge de la matinée depuis des années. Même s'il pouvait être agaçant, la rigueur de Patrick Cohen était un ravissement, en plus de sa voix si radiophonique. Même s'il parait qu'il faut laisser sa chance au produit comme on le fit en 1996 quand Jérôme Bellay changea tout du sol au plafond, l'ambiance n'est pas vraiment la même aujourd'hui : l'exode est tel que tout le monde se demande bien à quoi va ressembler l'antenne dans moins d'un mois. Le seul repère auquel il n'a pas été encore touché, c'est le carillon.

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Alors oui, je n'écouterai plus Europe 1, je me suis désabonné des fils Twitter et autres, j'ai demandé la suppression de toutes les informations nominatives me concernant chez eux, ... ce n'est une bouderie c'est nécessaire pour mon hygiène mentale et c'est surtout le respect minimum que je dois au glorieux passé de cette station, passé que l'on ne peut hypothéquer en continuant à faire n'importe quoi. Dans le silence de l'été, Benqué et Vidal-Revel jouent les fantassins serviles pour sauver leur tête alors qu'ils n'ont pas compris qu'ils étaient déjà condamnés. Dans le silence de l'été, c'est l'Europe 1 que j'aimais qui est partie ... comme un symbole Julie n'a pas pu faire ses adieux aux auditeurs. Dans le silence de l'été, on construit une machine à œuvrer contre l'intérêt général pour conforter les intérêts particuliers minables de crétins qui croient tenir là une revanche. C'est finalement une profanation, une usurpation à laquelle je ne veux absolument pas prendre part.

En retraçant les riches heures d'Europe 1, j'ai croisé les noms historiques de Pierre Dac, de Guy Lux, de Pierre Bellemare, de Bernard Pivot, de Jacques Paoli, de Francis Blanche, de Coluche, d'Hubert ... de Jean-Luc Lagardère qui résumait en 1990 qui, lorsqu'il rachetait LA CINQ, résumait Europe 1 comme une station "exigeante et populaire mais haut de gamme". C'est fini, son fils a tout saccagé, Bolloré diffusera bientôt peut-être des messes ou des prêches anti-avortement comme il s'apprête à le faire sur les antennes des chaines de Canal+ [c'est vertigineux tout de même] et moi je serai loin : j'irai écouter le monde changer ailleurs.

Sur les notes du Tony Hiller Orchestra [qui était l'indicatif de l'émission "La nuit est à vous" de Christian Barbier sur Europe 1], je referme cette histoire qui fut passionnante au point que j'ai failli travailler pour Europe 1 ... Cette mélodie pleine de nostalgie me remplit de tristesse parce que je sais que l'on a perdu quelque chose qui m'était essentiel et qui ne reviendra plus. Mais cette mélodie est aussi un voyage de remerciement à toutes celles et tous ceux qui ont fait cet Europe 1 qui n'existe déjà plus. Oui c'est fini, c'était bien, c'était vraiment chouette mais comme le précise le titre du morceau, les arcs en ciel aussi prennent fin ...

Tto, auditeur orphelin

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