En décembre 2004, la voix de la raison avait poussé TF1 et M6 à faire cause commune. Chacune avait dans ses cartons un projet de chaîne jeunes adultes [TFX pour TF1 et W9 pour M6]. Soucieux de ne pas trop s'abîmer au moment où la TNT allait se lancer, les deux rivaux de la télévision privée qui vend du temps de cerveau disponible à Coca-Cola et McDonald's ont donc fait alliance pour créer TF6 ... sorte de fusion avant l'heure.
Les Cassandre observeront que le projet n'a pas été couronné de succès puisque l'audience a décliné moins de cinq ans après la lancement, la chaîne ayant été fermée le 31 décembre 2014 dans l'indifférence. Beaucoup avaient jadis expliqué qu'une alliance TF1/M6, c'est le mariage de la carpe et du lapin tant les cultures d'entreprise sont différentes, tant les visions stratégiques sont aux antipodes, tant l'approché hégémonique de l'un est à l'opposé du marketing échevelé de l'autre. Avec le temps, la chaîne vendue au Groupe Bouygues au nom du "mieux disant culturel" [!!!] et la petite chaîne qui monte avaient appris à cohabiter parfois rugueusement quand M6 déstabilisait sa doyenne en lançant "Loft Story" [ce qui poussa TF1 à signer un contrat mirobolant avec Endemol qui confia, pour la première fois, la tranche 18h-20h à une société de production en exclusivité], quand M6 jouait les mercenaires pour draguer quelques matchs de l'équipe de France de football à la barbe de celle qui s'est pensait récipiendaire perpétuelle.
Une chose a néanmoins toujours uni la chaîne en béton et celle des émissions de coaching : créer un duopole en écartant toute concurrence de Canal+ en matière de télévision gratuite, en affaiblissant toujours davantage le service public au prix d'un lobbying soigneusement étudié qui revenait à marchander des engagements de production contre des dispositions du contrat de moyens de France Télévisions ayant vocation à atténuer la concurrence [la suppression de la publicité après 20h en est un exemple paroxystique].
Cette belle histoire aurait pu durer longtemps ... jusqu'à ce que Bertelsmann [actionnaire contrôlant de RTL Group auquel appartient le Groupe M6] décide de vendre la chaîne et ses satellites dont le leadership ne se produira jamais. Un temps Bolloré fut intéressé à reprendre l'ensemble, Silvio Berlusconi aussi, Mediawan comme NRJ firent semblant de croire à leurs chances mais c'est bien du côté de la tour TF1 d'Issy Les Moulineaux que les regards se portaient ... tout cela a été officialisé hier : un géant de la télévision va émerger en fusionnant TF1 et M6.
Qu'on ne s'y trompe pas, TF1 n'avale pas M6, les deux entreprises fusionnent et c'est le groupe Bouygues qui sera l'actionnaire de référence. La nuance est d'importance, surtout quand on envisage que Nicolas de Tavernost [qui n'a toujours pas digéré l'absorption de RTL dont les audiences déclinent dangereusement] prendra la tête de l'ensemble fusionné. La claque est magistrale pour le patron de TF1 qui doit ainsi trouver un strapontin dans la maison mère, devenant facialement le patron de Tavernost.
Ca c'est l'histoire sur le papier parce que jusqu'à la fusion, il va s'en passer des choses. Déjà, il va falloir vendre trois chaînes pour rester dans les clous de la réglementation. Pas de doute : Paris Première et 6ter sont déjà priées de faire leurs cartons, TFX pourrait sauver sa peau rien que parce qu'elle est diffusée sur le canal 11 de la TNT. Ensuite, il va falloir faire avaler à l'Autorité de la Concurrence que la concentration de 70% du marché publicitaire de la télévision n'est pas constitutif d'un abus de position dominante [curieux pléonasmes en perspective]. Qu'on ne s'y trompe pas : le choc d'un tel mariage est probablement plus dévastateur que celui qui vit en 1986 la création de La Cinq, de TV6 puis en 1987 la privatisation de TF1 et le remplacement de TV6 par M6. La télévision d'alors mit près de 15 ans à se remettre du séisme qui n'était, finalement, qu'un pétard du 14 juillet comparé à la grenade dégoupillée hier soir lorsque l'annonce de négociations exclusives a été officialisé.
Pourquoi ? Parce que le catalogue réuni des deux groupes est monstrueux tant pour les productions, les droits sportifs et non-sportifs, les capacités de production, les réseaux d'influence, les moyens en matière d'information, les diversifications et j'en passe. Les américains auraient fait la même chose, on hurlerait à l'impensable concentration atteignant les fondements de la démocratie parce que le pluralisme serait en danger. Economiquement, cela permettra de faire économiser 315 millions d'euros annuels aux deux groupes actuels, autant dire qu'il va faire bon s'accrocher à son siège tant les mercenaires seront de sortie. Surtout, cela va aligner les intérêts de deux acteurs jadis concurrents dans la production, dans les achats publicitaires, dans les droits sportifs, dans le cinéma, etc ... le mastodonte disposant ainsi d'une force de frappe inégalable ... d'ailleurs, quand Canal+ avait repris les chaînes de Bolloré pour faire D8 devenue C8, TF1 et M6 n'avaient pas de mots assez durs pour expliquer tout le déséquilibre qu'une telle irruption allait immanquablement produire. Nicolas de Tavernost, jamais à l'abri d'une comédie, se lamentait que l'on puisse tolérer q'un impétrant ait l'outrecuidance de venir s'amuser dans son jardin [oubliant, avec rouerie, qu'il avait fait de même avec TF1 en lançant TPS pour chatouiller Canal+ dans la télévision payante, avec pertes et fracas]. Les divas sont faites pour être plaintes : Canal+ s'est retrouvé avec un nombre important de limitations pour ses chaînes gratuites dont on s'étonne peu qu'elles ne décollent pas.
Oui, c'est une sorte de big-bang qui annonce clairement d'autres secousses. Canal+ va devoir réagir ou laisser s'écrouler le mammouth nouvellement fusionné qui peine à réagir face aux assauts de Netflix ou Disney+. HBO Max [dont la maison mère a annoncé hier la fusion outre-Atlantique avec Discovery] va débarquer bientôt à la faveur de la vente prochaine d'OCS. Pour TF1, paradoxalement, c'est un peu la dernière chance de survie tant les résultats ne sont pas bons : les audiences continuent de flancher, le coût de grille ne cesse d'augmenter et la rentabilité ne parvient pas à se rétablir, M6 étant à des niveaux insolents. C'est donc par nécessité et non par opportunisme que les deux champions doivent s'unir, pour revenir à des niveaux des années 90 où le leader de la télévision gratuite tutoyait encore un tiers de parts de marché. Quant aux programmes, pas de doute : ça va tailler méchamment dans la grille et, comme pour la privatisation de 1987, ce n'est jamais le téléspectateur qui y gagnera. Cependant, cette opération de fusion, redessinant tout le paysage audiovisuel français, pourrait sauver France 4 et éviter que l'on dépouille encore davantage un service public qui pourrait peut-être tirer son épingle du jeu, pour autant que Delphine Ernotte cesse d'accumuler les bévues.
Tto, qui a déjà saisi son pop-corn
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