Ce n'est jamais facile de parler des gens qui viennent de partir. Dans un entrefilet hier, je t'expliquais qu'une de mes tantes n'était pas au mieux puisqu'elle venait d'entrer en soins palliatifs. Elle est décédée hier matin, le souffle lui ayant fatalement fait défaut.
Dans la vie, il y a des gens que tu ne vois pas souvent mais dont tu es proche. Accointances, complicité ou connivence, je ne l'explique pas, je le constate.
A. était [puisqu'il me faut désormais parler d'elle à l'imparfait] de ces figures que j'aurai toujours connues, dont on m'aura toujours parlé, avec lesquelles j'aurai partagé des moments qui sont toujours d'une vibrante clarté malgré le temps qui passe.
D'elle, je me souviens d'une silhouette longue, une chevelure indomptable, un sourire toujours un peu réprimé et une voix un peu grave quasi étale. A. avait été à côté de moi au mariage de mon cousin, elle m'avait beaucoup parlé, nous avions pas mal devisé ... pour l'une des premières fois. C'était il y a 24 ans, quasiment jour pour jour. J'avais 22 ans et nous avions passé une chouette soirée, rigolant aux inévitables animations de mariage et devisant au sujet des uns et des autres, de la vie, du cours des choses.
Par la suite, nous nous étions retrouvés dans des circonstances moins heureuses. Parfois, j'avais fait le déplacement chez elle et mon oncle à côté de Villeneuve-sur-Yonne pour aller passer la journée et ne jamais perdre le fil avec ces cousins qui étaient tellement plus grands que moi, qui avaient fait leur vie. Et puis, il y eût les voyages difficiles, ceux que les ténèbres justifiaient.
A. a d'abord perdu un fils, mon cousin dont je n'ai qu'un souvenir fugace. Le jour où j'ai appris qu'il avait choisi d'en finir fut rude mais celui au cours duquel il fallut l'accompagner comme soutenir ses parents fut encore plus terrible. C'est ce jour là que j'ai compris que rien n'est pire au monde que d'enterrer l'un de ses enfants. Leur détresse était totale, leur incompréhension immense, les mots impuissants mais en de telles circonstances, la présence est déjà un témoignage même s'il sera toujours insuffisant.
Puis, A. perdit son époux, celui avec lequel elle avait partagé tant d'années de vie. C'était il y a exactement dix ans, le 11 avril 2011. Il avait trois ans de moins qu'elle, mais la guerre d'Indochine comme les cadences infernales réservées à ceux qui doivent donner beaucoup pour gagner leur vie avaient usé le fils ainé de mes grands parents. Oui, c'est le frère de ma mère qui laissa A. seule dans cette maison peu lumineuse au milieu de nulle part, dans une campagne où la chaleur est plus humaine que météorologique. J'étais là aussi ce jour là pour l'accompagner lui et la soutenir elle quand elle vit descendre le cercueil de celui qu'elle avait épousé le 31 août 1957 à Bourg la Reine. de De cette union, trois garçons naitront et la vie en banlieue parisienne cèdera bientôt la place à une retraite bien méritée dans les vallées bourguignonnes que l'on dit si fertiles pour récolter ici les souvenirs, là les fruits de la terre. J'aime beaucoup son fils le plus jeune, un garçon sain comme on en croise si peu.
Le jour où elle se retrouva seule, je me souviens d'elle en noir. Elle était évidemment inconsolable mais essayait de faire face, de dominer la douleur du chagrin. J'avais croisé ses yeux rouges mais elle m'avait fait un sourire et avait pris cet air faussement philosophe pour m'expliquer que c'était peut-être mieux ainsi parce qu'il souffrirait moins et que rien que cela la soulageait déjà beaucoup tant les derniers temps avaient été un calvaire. Oui, je reconnaissais souvent en elle ce faux air flegmatique ou détaché que je sers parfois, il n'y a qu'un chat pour reconnaître un chat.
Depuis, nous y étions retourné régulièrement pour partager des moments de vie, histoire de lui montrer que l'on pensait toujours à elle. Je me souviens qu'elle m'avait appelé un soir pour me dire qu'elle avait été ravie que je lui ai envoyé une petite carte postale de l'autre bout du monde. C'était mon petit plaisir que d'envoyer parfois quelques alizées de contrées qu'elle n'aura jamais connues mais qui me permettait de l'associer un peu quand j'arpentais le désert australien, les fjords néo-zélandais, les plages du Costa-Rica ou que sais-je encore. Du coup, en allant la voir, nous en reparlions. Elle prenait le temps de s'asseoir à côté de moi ou moi à côté d'elle et nous recréions cette complicité qui nous avait fait mieux nous découvrir le jour de ce mariage de 1997.
Les dernières nouvelles que j'avais eu d'elle n'étaient pas encourageantes mais témoignaient du fait qu'elle s'orientait très lentement vers l'inéluctable sans se hâter, comme si cette comédie humaine qu'elle observait avec distance l'amusait encore. Enigmatique, elle me disait "Tu sais, je sais bien ce qu'ils pensent ceux-là" en désignant tel ou tel. "Ceux-là", je l'entends encore prononcer ces mots là, avec la gouaille parisienne de ses origines qui ne l'avait pas quittée. Elle venait de fêter ses 91 ans le 18 juin dernier. Je la savais en maison de retraite, un peu coupée du monde et de certaines réalités, je ne lui avais donc pas écrit depuis que le fil était interrompu du fait de ces nouveaux éléments de contexte. La dernière fois, je crois que c'était pour notre voyage de noces en lui expliquant combien c'était magnifique et que nous trouverions le temps de lui faire partager la joie de notre mariage à Zolimari et moi, mariage auquel elle n'avait pas pu assister parce que le voyage lui était impossible.
Je pensais régulièrement à elle et me disais que voilà bien un destin singulier et particulier.
Vendredi, j'accompagnerai A. pour qu'elle repose non loin de son mari et de son fils [il n'y a plus de place dans le caveau prévu pour elle et son mari, son fils étant parti le premier, elle disait qu'elle s'en fichait ... forcément]. Elle ne sera plus là pour m'expliquer que la vie c'est comme ça, aussi. Oui A. la vie c'est comme ça et j'espère que tu en auras profité comme j'imagine que cela fut le cas. Tu emportes cette part de mystère que je te reconnais avoir voulu préserver, qui d'autre que moi peut mieux te comprendre ... je fais de même. On a toujours tort de s'en vouloir de ne pas avoir pris plus de temps avec ceux qui s'en vont : comme A. le disait souvent, la vie c'est comme ça.
Tto, qui pense beaucoup à A.
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